dimanche 15 juin 2008

Femme libérée

Un lit, comme j’en ai vu tant. Je suis dans ta chambre de lycéen, la guitare rangée dans un coin, quelques vêtements qui traînent, et sur le bureau un ordinateur portable, branché à un Ipod noir. Tout ça me fait sourire, parce que ça ressemble tellement à ma propre chambre, moi qui ne suis pourtant plus lycéenne depuis longtemps… mais quand j’avais ton âge, et ce n’est pourtant pas si vieux, je collectionnais les CD, et même encore quelques vinyles. Le temps va si vite, nous n’avons pas vécu la même adolescence alors même que j’aimerais croire que la différence d’âge est sans importance.
Tu n’essaies plus de jouer l’habitué, tu ne sors plus de cigarette après que l’on a fait l’amour. Tu m’as avoué il y a quelques temps qu’en réalité, tu ne l’avais « jamais fait » avant moi, comme on dit. Que cette cigarette, c’était un moyen de faire comme si tu savais. Et moi je n’avais rien vu, peut-être trop abasourdie par la rencontre de nos deux corps qui n’auraient jamais dû se frôler. Quelque part, je suis rassurée d’avoir été ta première fois. Bonne ou mauvaise, tu ne m’oublieras pas.
Je suis en train de récupérer mes sous-vêtements pour me rhabiller quand je sens ta main sur mon épaule. Je me retourne, je n’aime pas que l’on parle quand je suis encore nue. Je n’aime pas que tu me voies nue, sauf quand on fait l’amour.
Tu as quelque chose à me dire. Tu ne sais pas comment me l’annoncer. Tu aurais dû me le dire avant. Tu détestes ce que tu as à dire, mais tu n’as pas le choix, et je ne dois pas t’en vouloir.
Tous ces mots me donnent le vertige, ils sont les mêmes que ceux que j’ai pu entendre des dizaines de fois dans la bouche d’autres personnes qui cherchaient à se débarrasser de moi, de ce corps gênant lorsque le sexe est terminé. Et ironie du sort, j’ai moi aussi prononcé ces mots, lorsque c’était la seule issue possible pour quitter quelqu’un que je n’aimais pas, mais avec qui j’avais eu envie de baiser. Je n’ai tellement jamais pensé à nous comme ça.
Tu pars dans un mois à peine. Tu vas aux Etats-Unis, pour un an (au minimum). Tu vas aller dans un lycée là-bas, et loger dans une gentille famille. Tu as envie d’y aller, et quand bien même tu n’en aurais plus envie, tu n’as pas le choix.
Je ne t’entends déjà plus. Je hoche la tête, comme une automate. Tu me serres le bras, tu tentes de te rapprocher, mais déjà j’attrape mon soutien-gorge, mon tee-shirt et je suis prête à partir. Tu as le visage de celui à qui ça fait mal. Tu n’as pas le visage du salaud. Mais tu n’as que dix-sept ans et je ne sais même pas si je peux te faire confiance. Moi je ne montre rien, j’ai appris il y a longtemps… Je souris et te dis qu’après tout, il est normal que tu fasses ta vie. Ça ne me pose aucun problème, je serai très bien sans toi.
Je t’embrasse sur la joue et je sors. Je suis à peine dehors que je fonds en larmes. Je suis une pauvre idiote. Je ne sais pas bien au juste ce que je croyais, ce que je pensais tirer de cette histoire. Je me suis crue adolescente à nouveau dans ses bras inexpérimentés, mais la vie ne s’arrête pas là pour lui. Ce n’était peut-être qu’un jeu qui lui permettait de frimer. Ça ne lui ressemble tellement pas, pourtant. Pourtant j’ai mal à en crever.
J’ai à peine tourné au coin de la rue qu’il arrive en courant, avec sur lui seulement un caleçon et un pull. Il crie qu’il est désolé, il crie qu’il a envie de crever quand il pense qu’il va partir sans moi. Il me serre contre lui, de force cette fois, parce que j’essaie de me débattre. Je pleure tellement que je ne vois plus rien, mais je sens son odeur, je le sens qui respire mes cheveux, je l’entends s’excuser et je sais que ça va être encore plus difficile que ce que je pensais.
Il m’embrasse mal, nos baisers ont un goût douloureusement salé de larmes, mais on ne peut plus se lâcher. Les dernières étreintes vont être les meilleures, je le sais.
Je lui demande de me donner des nouvelles. De me dire quand il aura trouvé une jolie Américaine avec qui il découvrira de nouvelles choses. Il me jure qu’il ne pourra jamais et je souris. Je sais très bien qu’il en aimera d’autres, qu’on ne s’attendra pas. Dès qu’il sera parti je retournerais coucher avec le premier venu, et je lui dis comme ça, sans mettre de formes, alors que les voitures nous frôlent sans cesse. Il me dit qu’il ne comprend pas, pourquoi ne pas s’aimer de loin, il reviendra vite.
Alors je lui dis. Je lui dis que je n’ai jamais bien su être fidèle. Qu’avec lui à mes côtés, j’aurais pu essayer. Mais que loin l’un de l’autre, je ne peux pas. J’en suis incapable. Et par-dessus tout, je refuse de le bercer d’illusions et de le blesser si je n’arrive pas à tenir parole. Il ne répond rien. Je crois qu’il se demande pourquoi j’ai été fidèle avec lui, même si ça n’a pas duré longtemps. Je crois qu’il se demande même si je l’ai vraiment été, fidèle. Son regard noir m’interroge, doucement : « dis, tu ne m’as pas trompé ? »
Je reprends ma route. Je ne réponds rien. Le laisser croire que je suis une salope l’aidera à m’oublier…

mardi 22 avril 2008

C’est pas ma faute

Elle danse. Il est trop tard pour elle, mais elle danse, sans arrêter, sans reprendre son souffle. La sueur coule dans son cou, sur sa gorge. Elle ne sent plus rien, elle n’entend que la (mauvaise) musique que diffuse la boîte de nuit, elle suit le rythme, avec ses hanches, avec ses seins, avec ses bras. Tout son corps est en mouvement, ses yeux sont fermés, elle ne voit personne. Elle ne voit pas les hommes qui s’approchent d’elle, ça ne l’intéresse pas. Elle sait qu’ils sont là, elle les sent, mais elle les ignore. Ils finissent tous par se lasser, mi-dépités, mi-fascinés par celle qui refuse de se prêter au jeu habituel.
Elle met des robes courtes, mais c’est simplement car il fait trop chaud en boîte. Elle ne cherche pas à les « allumer », comme on lui dit parfois. Ça la fait toujours rire, et son aplomb de jeune fille de quinze ans lui permet de rétorquer : « Tu crois que j’aurais envie de t’allumer ? »
Elle ne les vouvoie pas, ces hommes, les quelques rares qui se risquent à la serrer de trop près, même lorsqu’elle ne prête aucune attention à leur jeu de séduction. Elle sait bien qu’elle devrait, mais les rôles sont inversés : c’est elle qui a le pouvoir, c’est elle qu’ils désirent. L’argument de l’autorité, de l’âge ne fonctionne plus. C’est elle la grande, elle qui décide, pas eux. Jamais eux.
Ils ne la comprennent pas. Ils pensent qu’une jeune fille qui vient danser en boîte, elle cherche nécessairement un compagnon de sexe. Encore plus une fille qui danse comme elle. Ils ne savent pas qu’elle ne vient chercher qu’une chose : l’oubli, la danse, cette chaleur qui l’envahit quand elle arrive sur la piste de danse. Ils ne savent pas qu’elle ne veut pas lier ça au sexe. Ils ne savent sans doute même pas qu’ailleurs, dans d’autres circonstances, elle coucherait sûrement avec eux. Mais pas là, pas quand elle joue à la reine, pas quand elle sait qu’elle est le point de mire de la salle entière, pas quand elle se sent si forte.
Il lui arrive de se faire surnommer Lolita. Ça l’amuse. Elle n’a rien d’une Lolita, elle est trop vieille pour que coucher avec elle soit puni par la loi. Et puis elle n’a jamais cherché à les séduire. Ce sont plutôt eux qu’on devrait appeler « Humbert », et cesser de fantasmer sur une image de préadolescente perverse qui n’a jamais existé.
Mais au fond, elle sait très bien qu’un jour, elle dira oui. Juste pour voir ce que ça fait. Juste pour sentir ce désir qui monte, juste pour avoir l’impression d’exister jusqu’au bout. Car la solitude de la ruelle lorsqu’elle quitte la boîte la tue, la fait suffoquer. Comment peut-on exister si pleinement à l’intérieur, et n’être qu’une vulgaire adolescente trop maquillée à l’extérieur ?
La fausse Lolita essaie désespérément de se faire regarder, reluquer, qui sait, aimer. Même si elle a conscience que ce n’est qu’une illusion. Alors en attendant, elle danse…

lundi 31 mars 2008

Fire walk with me

Cher journal,
Aujourd’hui j’avais rendez-vous avec James. On a fait l’amour, mais après il était bizarre, comme si ça ne lui avait pas suffi. Comme à chaque fois que je le vois, il m’a dit qu’il m’aimait, qu’il voulait me sauver, que je devais arrêter de voir Bobby et de sortir toute seule le soir. Je crois qu’il ne sait pas qui je suis en réalité. Personne ne me connaît, et lui encore moins. Il en deviendrait fou, s’il me voyait réellement…
Donna non plus ne sait pas qui je suis. Elle m’a dit qu’elle voulait venir avec moi ce soir au Road House, mais je n’ai pas envie. Je ne veux pas qu’elle soit comme moi. Si elle me ressemblait, je n’aurais plus personne de tendre à mes côtés. Je ne veux pas qu’elle vienne, et qu’elle me voie comme ça… qu’elle me voie dans les bras d’hommes que je ne connais pas et qui me donnent pourtant ce dont j’ai tellement besoin.
Je m’éloigne de Bobby, chaque jour un peu plus. Il se doute pour James, mais il n’a encore aucune preuve. Après tout James est bien peu de choses… une goutte d’eau dans mon océan d’hommes.
Je sais enfin qui est Bob. Je sais qu’il me veut, et que je ne lui donnerai rien. Je sais qu’il va me détester. Je sais qu’il m’aime autant qu’il me hait. Je sais que je vais mourir par sa main, une main qui m’a donné la vie il y a seize ans. Parfois je me demande si je n’ai pas rêvé tout ça, si je n’ai pas simplement peur d’un homme qui veut faire de moi une vraie femme, alors que je voudrais rester sa petite fille. Je ne peux pas croire que ce soit lui qui vient la nuit dans ma chambre, qui hante mes cauchemars, qui me baise parfois. Il faut que ce soit Bob, et pas lui.
Je n’ai pas peur de me brûler. Je sais jouer avec le feu. Même si la princesse se fait toujours baiser.
Laura.

mercredi 26 mars 2008

La fidélité

Ils se regardent, si proches l’un de l’autre, elle à droite du canapé, lui à gauche. Une seule place vacante entre eux deux. Quelques petits centimètres qui ne devraient pas avoir d’importance. Et pourtant, on dirait qu’un océan entier les sépare.
Son regard à lui accuse. Il n’a pas d’indulgence. Il la regarde, la méprise. Le plus fort qu’il le peut. On voit bien qu’il se force mais tout ça n’a aucune importance : l’essentiel est qu’elle se sente mal, qu’elle comprenne qu’elle a mal agi.
Elle baisse la tête, regrette d’être obligée de faire amende honorable, mais ne sait pas comment réagir autrement. Enfin elle se lance. Ce silence ne règle rien.
« Arrête de me regarder comme ça ! Je ne t’ai jamais menti, je croyais que c’était l’essentiel. »
Rire sarcastique de l’homme. Il jette la tête en arrière, on dirait qu’il cherche à la séduire dans son sadisme.
« L’essentiel ? Je ne sais pas dans quel monde tu vis, Claire. Je ne sais pas de quelle planète tu débarques. Ici on aime les gens, on essaie de ne pas leur faire de mal, et quand on est amoureux la fidélité elle va de soi. »
C’est au tour de Claire de rire.
« Tu crois que j’ai envie de faire comme les autres ? Tu crois qu’une attitude est bonne parce qu’elle est celle de la majorité ? Je ne suis pas comme ça, je te l’ai toujours dit. C’est comme ça que ça a commencé entre nous : tu étais ivre, moi beaucoup moins que toi, et tu as couché avec moi après t’être fait sucer par une de mes amies. Ça ne t’a pas gêné, à l’époque. Les leçons de morale sonnent faux dans ta bouche, tu le sais bien.
-Il ne s’agit pas de morale. Il s’agit d’amour. Je ne crois pas que tu m’aimes quand tu vas baiser avec n’importe qui. Et moi je veux une femme qui n’aime que moi et ne se donne pas au premier venu, comme une vulgaire pute. »
Claire attendait ce signal : dès que le mot « pute » est lâché, elle sourit. Elle ne baisse plus les yeux.
« Tu me dois vachement d’argent, alors, si je ne suis une pute. Et n’oublie pas que la sodomie, c’est deux fois plus cher. »
Il ne sait pas comment réagir. Il sait qu’il a tort. Il sait qu’il essaie de jouer les grands hommes, mais qu’il n’a pas de réponse à lui donner. Il sait qu’il l’a prise comme elle était, qu’elle n’a jamais menti, que c’est lui qui est blessé dans sa virilité. Qu’il ne supporte pas de la voir ne pas lui appartenir. Une femme n’est pas un objet. Sa femme n’est pas son objet. Claire va le quitter.
« Je n’aurais pas dû dire ça. Mais tu as très bien saisi l’idée.
-Je ne serai jamais fidèle. Je ne serai jamais celle que tu recherches. Tu ferais mieux de t’en aller. »
Il la regarde. Il sait qu’au-delà de ses grands discours, il y avait une chose qui les liait : le désir. Il la désirait, et elle le désirait. Au bord du précipice, il sait qu’il a encore envie d’elle. Peut-être même que l’idée d’autres hommes glissant sur elle l’excite encore plus.
Gauchement, il s’approche. Il veut jouer le jeu des gestes maladroits, hasardeux, qui n’ont pas l’air d’avoir été voulus ni réfléchis. Claire l’a tout de suite compris. Elle le repousse et se déshabille.
« Je t’assure que cette fois, t’en auras pour ton argent. »

jeudi 1 novembre 2007

Vas-y demande à la poussière

Il faisait très chaud, tout à coup. J’avais passé la soirée entière à me geler, à me réchauffer grâce à ma veste en laine, à fumer pour que mes doigts ne soient plus glacés, et puis en une minute ma température avait fait un bond. Je me suis retrouvée presque en sueur, à enlever péniblement les différentes couches de vêtement que j’avais amassées. Je jetais les fringues par terre, sans même faire attention – je ne pouvais pas faire attention, de toute manière, vu mon état d’alcoolémie avancé.
Une fois en tee-shirt, je suis sortie de l’appartement, me réfugiant sur le balcon pour retrouver un peu de fraîcheur. Ma tête tournait, et je savais qu’il ne faisait pas chaud, que c’était juste moi qui étais en train de me trouver mal, parce que j’avais encore trop bu.
Audrey m’a rejointe sur le balcon ; elle m’avait sans doute vue sortir en titubant, tant bien que mal. Elle a passé son bras autour de ma taille.
« Ca va aller ?
- Je crois. »
Elle s’est recroquevillée contre moi (elle avait froid), et m’a caressé le visage. « Ce que tu es jolie quand tu es ivre. Tu as l’air de n’avoir plus peur de rien. » Et c’était vrai. J’adorais ses grands yeux noirs, encore plus quand je n’avais plus aucune inhibition et pouvais tout me permettre. Je lui ai dit que je voulais faire l’amour avec elle ce soir-là. Elle n’a pas paru étonnée. Elle m’a simplement dit « on verra » et m’a serrée encore un peu plus fort.
J’ai allumé une cigarette à la pêche, toute blanche, toute fine. Après avoir pris quelques bouffées, Audrey m’a demandé par le regard si elle pouvait « tirer une taffe ». Je lui ai passé la cigarette. Elle a commencé à fumer et s’est détachée de moi.
« Je ne sais pas bien où ça va nous mener, tu sais. Je t’apprécie beaucoup et j’adore ton corps, j’adore ton odeur. J’adore dormir contre toi, te serrer contre moi. On est bien toutes les deux. Mais j’suis pas homo, tu sais. Je suis jamais tombée amoureuse d’une fille et même toi, je ne sais pas si je peux t’aimer. »
Je savais qu’elle allait me dire ça. M’annoncer ça. Mes vertiges commençaient à se calmer, je me suis même mise à frissonner. Je suis allée récupérer ma veste, et je suis retournée sur le balcon. Ce n’était pas le meilleur endroit, le meilleur moment. Mais il fallait qu’on parle, elle et moi.
« Je ne te demande pas de m’aimer. Tu sais bien ce que j’en pense, de tout ça. Je ne veux pas être en couple. Mais tu me plais Audrey, et je sais que je te plais. Tu n’arrêtes pas de te coller à moi, parce que tu aimes les contacts physiques qu’on peut avoir. Je ne te parle pas d’amour, je te parle de s’amuser, de prendre du plaisir ensemble.
- Mais je ne sais pas mélanger l’amitié et le cul, moi. Et qu’est-ce qui me dit que j’aimerais ça ? Que j’aimerais baiser avec une fille ? Tu es jolie et tout, y’a pas de problème là-dessus, mais j’aime les mecs. J’aime baiser avec des mecs. Toi… tu es une très bonne amie, tu es même plus. Mais sexuellement, non. Je veux pas. »
Elle n’aurait pas pu être plus claire. Je l’ai regardée une dernière fois, avec ce désir qui m’étreignait à chaque fois qu’elle était près de moi. Il allait falloir m’y résoudre, et je le savais bien. Je le savais, qu’elle allait me dire non. Que ça allait être… que ça n’allait rien être du tout.
Je suis restée là, sur le balcon. J’ai allumé un joint dans l’épaisse nuit noire, sans étoile. Seule la lumière du pétard me rappelait où j’étais.
Quand je suis retournée à l’intérieur, elle était assise sur les genoux d’un garçon que je connaissais à peine. J’ai eu envie de courir vers elle, de lui ôter le cœur, de la frapper jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus jamais se donner à personne. Mais je suis restée là, bêtement, à l’observer. A la voir rire, parler, minauder. Le draguer, honteusement, sans s’en cacher. Je savais qu’elle allait coucher avec lui ce soir, qu’il allait repartir le lendemain sans prendre son numéro de téléphone. Que dans quelques jours, elle aurait tout oublié et m’appellerait pour tout me raconter, à moi la bonne copine qui peut tout entendre. Et que j’aurais, plus que jamais, envie de lui hurler dessus, de lui dire qu’elle n’était qu’une connasse.
Je sais qu’un jour ou l’autre, sans raison, j’arrêterai de la voir. J’inventerai n’importe quoi, une dispute sans intérêt, pour justifier mon détachement. Et alors je pourrais enfin essayer de l’oublier, d’oublier ses baisers doux comme une vodka fraise, d’oublier son odeur qui faisait battre mon cœur, d’oublier ses dents de travers que je crevais d’envie de lécher. Essayer de reconstruire ma vie, sans elle. Même si, été comme hiver, elle va me manquer…
Mais qu’est-ce que ça peut foutre ?

mercredi 24 octobre 2007

Is this desire ?

J’ai regardé la silhouette s’éloigner. Vacillante et fuyante, elle avait à peine ramassé ses affaires qu’elle sortait de chez moi, se rhabillait dans l’escalier et courait jusqu’au métro. Je ne l’ai pas vue descendre, mais je le savais, parce qu’elle avait toujours agi comme ça. Il ne me restait plus qu’à me poster à la fenêtre, la voir courir sur des chaussures aux talons trop hauts pour elle, manquer de s’effondrer dix fois dans les dix mètres qui la séparaient de la bouche qui allait l’engloutir pour l’éloigner encore plus de moi.
Je n’étais pas triste. J’y étais habitué. Elle semblait toujours coupable le matin, lorsqu’elle me voyait me tourner dans le lit, encore nu après nos trop nombreux ébats de la nuit. Elle croyait qu’elle ne faisait pas de bruit, que je ne savais pas qu’elle allait s’éclipser. Au fond, elle savait bien que je l’entendais, car ça n’était pas la première fois, ni la dernière.
A chaque fois j’ai réprimé un soupir. Pourquoi refuser d’aller prendre sa douche avec moi, de déjeuner avec moi ? Pourquoi m’effacer dès le jour levé ? J’avais la bizarre impression qu’elle allait se transformer en citrouille si elle restait avec moi le matin, et pourtant ce que nous faisions n’avait rien d’un conte de fées.
J’avais d’ailleurs beau me répéter que tout cela n’était qu’une histoire de fesses, mais en fait cela devenait beaucoup plus. Et pour elle aussi. Car comment expliquer sa hâte, si ce n’était l’envie d’empêcher tout contact entre elle et moi qui soit autre que sexuel ? On prenait du bon temps au lit, c’était évident. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi libéré, d’aussi prêt à tenter toutes les expériences possibles. C’est pour ça qu’elle me plaisait : elle n’avait peur de rien. Elle n’était pas de celles qui refusent certaines choses par principe ou parce que ça lui semble dégradant : rien n’est dégradant, disait-elle, si je suis consentante.
J’ai essayé de la saisir, de parler avec elle. Je ne voulais pas qu’on baise tout de suite hier soir, je voulais savoir certaines choses sur elle, sur sa vie. Ce qu’elle faisait, ce en quoi elle croyait. Elle m’a regardé de travers. « N’essaie pas de me faire croire qu’il y a autre chose que mon cul qui t’intéresse. » Toujours ce mépris. Comme si, après tout, elle-même ne considérait pas qu’autre chose en elle fût intéressant.
Je suis lâche et j’ai laissé tomber, je l’ai baisée jusqu’à en avoir mal. La seule manière de lui témoigner ce que je ressens pour elle. Et la voir partir au petit matin, ça me fais toujours autant chier, car j’aimerais lui faire du café, la rejoindre sous la douche, voir sa manière de se maquiller devant ma glace.
Elle me dirait que je suis con, si elle me lisait. Car entre nous ça n’a jamais été que du cul. Je ne sais même pas son nom de famille. Tout cela est accessoire, c’est ce qu’elle dit. Et après tout, peut-être est-ce une connasse sortie du lit.
Peut-être aussi que je confonds le désir et l’affection. Car parfois je la désire tellement, que j’en crèverais.

dimanche 21 octobre 2007

Rendez-vous près du tout à l'égoût

Notre rencontre était fortuite. Comme un bon vieux cliché mis en scène des milliers de fois. Un clash comme ça en pleine rue, moi qui marche trop vite, lui qui ne fait pas attention. J'ai bien évidemment râlé en ramassant mes affaires (qu'il ne m'a pas aidée à ramasser, alors qu'ayant vu faire ça des dizaines de fois dans les films j'aurais cru qu'il le ferait). Quand je me suis relevée pour repartir, il n'avait pas bougé. Les yeux rivés sur moi. J'ai essayer de l'ignorer et de repartir sans faire attention à lui mais il m'a retenue par le bras - et mon classeur s'est encore cassé la gueule, les feuilles éparpillées sur le pavé mouillé. "Merde !"
Il n'a rien dit du tout, je me suis demandé s'il n'était pas idiot. Mais la force de son regard avait quelque chose de troublant. Il m'a empêchée de me pencher à nouveau. "Mais qu'est-ce que tu fais ?" Il m'a simplement répondu qu'il voulait m'emmener prendre un verre chez lui. J'ai haussé les épaules. Après tout, pourquoi pas. Je n'avais jamais été bien farouche.
Il a alors ramassé mon classeur, qu'il a gardé avec lui sur le chemin. Il ne disait rien de plus, m'observait en coin. Je commençais à être gênée, comme je le suis toujours avec les personnes qui ne semblent pas à l'aise elles non plus. Il a sorti des clefs devant un immeuble minable, délabré, jauni par les années. Evidemment, pas d'ascenceur, et nous avons monté en silence les quatre étages qui nous menaient à son appartement. Les escaliers ne sentaient pas l'urine, j'aurais pu tomber plus mal.
Arrivés chez lui, j'ai découvert un espace étonnamment lumineux et vide. Un canapé dans le salon, un lit dans la chambre, une table dans la cuisine. Rien d'autre. Quelques broutilles traînaient dans un frigo placide qui ronronnait comme un vieux chat. Il en a sorti une bouteille de cidre. Je l'ai regardé comme si je ne comprenais pas. "Tu m'invites pour boire du cidre chez toi ?" "Mais tu sais bien que ce n'est pas boire qui m'intéresse."
Quelle perversité dans la voix. J'ai bien cru que j'allais me mettre à poil tout de suite tant sa personnalité trouble m'excitait. J'ai siroté mon verre pendant qu'enfin, il se mettait à parler. A parler des nombreuses filles qu'il avait ramenées chez lui, de son addiction au sexe. Plus il parlait, moins j'avais envie de lui. Je l'écoutais, un peu moqueuse face à ce discours de cynique baiseur qui avoue son vice face à sa prochaine victime. Il ne comprenait peut-être pas que j'étais meilleure que lui dans ce domaine.
Il s'est alors levé et m'a tirée par la manche vers son lit, dans la chambre. J'ai docilement enlevé mes vêtements un à un, pendant qu'il en faisait autant. Ca aurait pu sembler glauque pour un spectateur qui aurait assisté à la scène, de nous voir tous les deux le dos tourné, de notre côté du lit, nous préparant pour une partie de jambes en l'air, mais nous étions bien conscients de tout ça. Il m'a vaguement embrassée une fois que j'étais nue, assez mal et violemment, comme s'il était pressé d'en finir. Je commençais à me douter que cette baise ne serait vraiment pas bonne.
Je l'ai rapidement sucé, le plus mal possible ; il m'a rendu la pareille sans y mettre beaucoup de coeur lui non plus. Et puis il m'a mise sur le ventre pour me prendre en levrette, sans que cela me fasse le moindre effet. L'excitation était toute retombée, sans doute simulait-il trop sa sexualité débridée pour que cela m'atteigne.
Je n'ai même pas joui ; il a éjaculé péniblement entre mes cuisses. Je suis allée m'essuyer, j'ai remis mes fringues, et j'ai fait ce que j'avais toujours rêvé de faire : j'ai sorti mon portefeuille et lui ai balancé un billet de 50 euros. Il m'a regardée, médusé : "C'est quoi ce pognon ?" - mais son regard signifiait qu'il comprenait très bien à quoi je jouais. J'ai souri et lui ai répondu : "J'ai toujours voulu qu'un mec sache ce que ça fait que d'être humilié comme ça."
Je suis sortie, le coeur léger. J'avais vraiment envie de baiser.