dimanche 15 juin 2008

Femme libérée

Un lit, comme j’en ai vu tant. Je suis dans ta chambre de lycéen, la guitare rangée dans un coin, quelques vêtements qui traînent, et sur le bureau un ordinateur portable, branché à un Ipod noir. Tout ça me fait sourire, parce que ça ressemble tellement à ma propre chambre, moi qui ne suis pourtant plus lycéenne depuis longtemps… mais quand j’avais ton âge, et ce n’est pourtant pas si vieux, je collectionnais les CD, et même encore quelques vinyles. Le temps va si vite, nous n’avons pas vécu la même adolescence alors même que j’aimerais croire que la différence d’âge est sans importance.
Tu n’essaies plus de jouer l’habitué, tu ne sors plus de cigarette après que l’on a fait l’amour. Tu m’as avoué il y a quelques temps qu’en réalité, tu ne l’avais « jamais fait » avant moi, comme on dit. Que cette cigarette, c’était un moyen de faire comme si tu savais. Et moi je n’avais rien vu, peut-être trop abasourdie par la rencontre de nos deux corps qui n’auraient jamais dû se frôler. Quelque part, je suis rassurée d’avoir été ta première fois. Bonne ou mauvaise, tu ne m’oublieras pas.
Je suis en train de récupérer mes sous-vêtements pour me rhabiller quand je sens ta main sur mon épaule. Je me retourne, je n’aime pas que l’on parle quand je suis encore nue. Je n’aime pas que tu me voies nue, sauf quand on fait l’amour.
Tu as quelque chose à me dire. Tu ne sais pas comment me l’annoncer. Tu aurais dû me le dire avant. Tu détestes ce que tu as à dire, mais tu n’as pas le choix, et je ne dois pas t’en vouloir.
Tous ces mots me donnent le vertige, ils sont les mêmes que ceux que j’ai pu entendre des dizaines de fois dans la bouche d’autres personnes qui cherchaient à se débarrasser de moi, de ce corps gênant lorsque le sexe est terminé. Et ironie du sort, j’ai moi aussi prononcé ces mots, lorsque c’était la seule issue possible pour quitter quelqu’un que je n’aimais pas, mais avec qui j’avais eu envie de baiser. Je n’ai tellement jamais pensé à nous comme ça.
Tu pars dans un mois à peine. Tu vas aux Etats-Unis, pour un an (au minimum). Tu vas aller dans un lycée là-bas, et loger dans une gentille famille. Tu as envie d’y aller, et quand bien même tu n’en aurais plus envie, tu n’as pas le choix.
Je ne t’entends déjà plus. Je hoche la tête, comme une automate. Tu me serres le bras, tu tentes de te rapprocher, mais déjà j’attrape mon soutien-gorge, mon tee-shirt et je suis prête à partir. Tu as le visage de celui à qui ça fait mal. Tu n’as pas le visage du salaud. Mais tu n’as que dix-sept ans et je ne sais même pas si je peux te faire confiance. Moi je ne montre rien, j’ai appris il y a longtemps… Je souris et te dis qu’après tout, il est normal que tu fasses ta vie. Ça ne me pose aucun problème, je serai très bien sans toi.
Je t’embrasse sur la joue et je sors. Je suis à peine dehors que je fonds en larmes. Je suis une pauvre idiote. Je ne sais pas bien au juste ce que je croyais, ce que je pensais tirer de cette histoire. Je me suis crue adolescente à nouveau dans ses bras inexpérimentés, mais la vie ne s’arrête pas là pour lui. Ce n’était peut-être qu’un jeu qui lui permettait de frimer. Ça ne lui ressemble tellement pas, pourtant. Pourtant j’ai mal à en crever.
J’ai à peine tourné au coin de la rue qu’il arrive en courant, avec sur lui seulement un caleçon et un pull. Il crie qu’il est désolé, il crie qu’il a envie de crever quand il pense qu’il va partir sans moi. Il me serre contre lui, de force cette fois, parce que j’essaie de me débattre. Je pleure tellement que je ne vois plus rien, mais je sens son odeur, je le sens qui respire mes cheveux, je l’entends s’excuser et je sais que ça va être encore plus difficile que ce que je pensais.
Il m’embrasse mal, nos baisers ont un goût douloureusement salé de larmes, mais on ne peut plus se lâcher. Les dernières étreintes vont être les meilleures, je le sais.
Je lui demande de me donner des nouvelles. De me dire quand il aura trouvé une jolie Américaine avec qui il découvrira de nouvelles choses. Il me jure qu’il ne pourra jamais et je souris. Je sais très bien qu’il en aimera d’autres, qu’on ne s’attendra pas. Dès qu’il sera parti je retournerais coucher avec le premier venu, et je lui dis comme ça, sans mettre de formes, alors que les voitures nous frôlent sans cesse. Il me dit qu’il ne comprend pas, pourquoi ne pas s’aimer de loin, il reviendra vite.
Alors je lui dis. Je lui dis que je n’ai jamais bien su être fidèle. Qu’avec lui à mes côtés, j’aurais pu essayer. Mais que loin l’un de l’autre, je ne peux pas. J’en suis incapable. Et par-dessus tout, je refuse de le bercer d’illusions et de le blesser si je n’arrive pas à tenir parole. Il ne répond rien. Je crois qu’il se demande pourquoi j’ai été fidèle avec lui, même si ça n’a pas duré longtemps. Je crois qu’il se demande même si je l’ai vraiment été, fidèle. Son regard noir m’interroge, doucement : « dis, tu ne m’as pas trompé ? »
Je reprends ma route. Je ne réponds rien. Le laisser croire que je suis une salope l’aidera à m’oublier…

mardi 22 avril 2008

C’est pas ma faute

Elle danse. Il est trop tard pour elle, mais elle danse, sans arrêter, sans reprendre son souffle. La sueur coule dans son cou, sur sa gorge. Elle ne sent plus rien, elle n’entend que la (mauvaise) musique que diffuse la boîte de nuit, elle suit le rythme, avec ses hanches, avec ses seins, avec ses bras. Tout son corps est en mouvement, ses yeux sont fermés, elle ne voit personne. Elle ne voit pas les hommes qui s’approchent d’elle, ça ne l’intéresse pas. Elle sait qu’ils sont là, elle les sent, mais elle les ignore. Ils finissent tous par se lasser, mi-dépités, mi-fascinés par celle qui refuse de se prêter au jeu habituel.
Elle met des robes courtes, mais c’est simplement car il fait trop chaud en boîte. Elle ne cherche pas à les « allumer », comme on lui dit parfois. Ça la fait toujours rire, et son aplomb de jeune fille de quinze ans lui permet de rétorquer : « Tu crois que j’aurais envie de t’allumer ? »
Elle ne les vouvoie pas, ces hommes, les quelques rares qui se risquent à la serrer de trop près, même lorsqu’elle ne prête aucune attention à leur jeu de séduction. Elle sait bien qu’elle devrait, mais les rôles sont inversés : c’est elle qui a le pouvoir, c’est elle qu’ils désirent. L’argument de l’autorité, de l’âge ne fonctionne plus. C’est elle la grande, elle qui décide, pas eux. Jamais eux.
Ils ne la comprennent pas. Ils pensent qu’une jeune fille qui vient danser en boîte, elle cherche nécessairement un compagnon de sexe. Encore plus une fille qui danse comme elle. Ils ne savent pas qu’elle ne vient chercher qu’une chose : l’oubli, la danse, cette chaleur qui l’envahit quand elle arrive sur la piste de danse. Ils ne savent pas qu’elle ne veut pas lier ça au sexe. Ils ne savent sans doute même pas qu’ailleurs, dans d’autres circonstances, elle coucherait sûrement avec eux. Mais pas là, pas quand elle joue à la reine, pas quand elle sait qu’elle est le point de mire de la salle entière, pas quand elle se sent si forte.
Il lui arrive de se faire surnommer Lolita. Ça l’amuse. Elle n’a rien d’une Lolita, elle est trop vieille pour que coucher avec elle soit puni par la loi. Et puis elle n’a jamais cherché à les séduire. Ce sont plutôt eux qu’on devrait appeler « Humbert », et cesser de fantasmer sur une image de préadolescente perverse qui n’a jamais existé.
Mais au fond, elle sait très bien qu’un jour, elle dira oui. Juste pour voir ce que ça fait. Juste pour sentir ce désir qui monte, juste pour avoir l’impression d’exister jusqu’au bout. Car la solitude de la ruelle lorsqu’elle quitte la boîte la tue, la fait suffoquer. Comment peut-on exister si pleinement à l’intérieur, et n’être qu’une vulgaire adolescente trop maquillée à l’extérieur ?
La fausse Lolita essaie désespérément de se faire regarder, reluquer, qui sait, aimer. Même si elle a conscience que ce n’est qu’une illusion. Alors en attendant, elle danse…

lundi 31 mars 2008

Fire walk with me

Cher journal,
Aujourd’hui j’avais rendez-vous avec James. On a fait l’amour, mais après il était bizarre, comme si ça ne lui avait pas suffi. Comme à chaque fois que je le vois, il m’a dit qu’il m’aimait, qu’il voulait me sauver, que je devais arrêter de voir Bobby et de sortir toute seule le soir. Je crois qu’il ne sait pas qui je suis en réalité. Personne ne me connaît, et lui encore moins. Il en deviendrait fou, s’il me voyait réellement…
Donna non plus ne sait pas qui je suis. Elle m’a dit qu’elle voulait venir avec moi ce soir au Road House, mais je n’ai pas envie. Je ne veux pas qu’elle soit comme moi. Si elle me ressemblait, je n’aurais plus personne de tendre à mes côtés. Je ne veux pas qu’elle vienne, et qu’elle me voie comme ça… qu’elle me voie dans les bras d’hommes que je ne connais pas et qui me donnent pourtant ce dont j’ai tellement besoin.
Je m’éloigne de Bobby, chaque jour un peu plus. Il se doute pour James, mais il n’a encore aucune preuve. Après tout James est bien peu de choses… une goutte d’eau dans mon océan d’hommes.
Je sais enfin qui est Bob. Je sais qu’il me veut, et que je ne lui donnerai rien. Je sais qu’il va me détester. Je sais qu’il m’aime autant qu’il me hait. Je sais que je vais mourir par sa main, une main qui m’a donné la vie il y a seize ans. Parfois je me demande si je n’ai pas rêvé tout ça, si je n’ai pas simplement peur d’un homme qui veut faire de moi une vraie femme, alors que je voudrais rester sa petite fille. Je ne peux pas croire que ce soit lui qui vient la nuit dans ma chambre, qui hante mes cauchemars, qui me baise parfois. Il faut que ce soit Bob, et pas lui.
Je n’ai pas peur de me brûler. Je sais jouer avec le feu. Même si la princesse se fait toujours baiser.
Laura.

mercredi 26 mars 2008

La fidélité

Ils se regardent, si proches l’un de l’autre, elle à droite du canapé, lui à gauche. Une seule place vacante entre eux deux. Quelques petits centimètres qui ne devraient pas avoir d’importance. Et pourtant, on dirait qu’un océan entier les sépare.
Son regard à lui accuse. Il n’a pas d’indulgence. Il la regarde, la méprise. Le plus fort qu’il le peut. On voit bien qu’il se force mais tout ça n’a aucune importance : l’essentiel est qu’elle se sente mal, qu’elle comprenne qu’elle a mal agi.
Elle baisse la tête, regrette d’être obligée de faire amende honorable, mais ne sait pas comment réagir autrement. Enfin elle se lance. Ce silence ne règle rien.
« Arrête de me regarder comme ça ! Je ne t’ai jamais menti, je croyais que c’était l’essentiel. »
Rire sarcastique de l’homme. Il jette la tête en arrière, on dirait qu’il cherche à la séduire dans son sadisme.
« L’essentiel ? Je ne sais pas dans quel monde tu vis, Claire. Je ne sais pas de quelle planète tu débarques. Ici on aime les gens, on essaie de ne pas leur faire de mal, et quand on est amoureux la fidélité elle va de soi. »
C’est au tour de Claire de rire.
« Tu crois que j’ai envie de faire comme les autres ? Tu crois qu’une attitude est bonne parce qu’elle est celle de la majorité ? Je ne suis pas comme ça, je te l’ai toujours dit. C’est comme ça que ça a commencé entre nous : tu étais ivre, moi beaucoup moins que toi, et tu as couché avec moi après t’être fait sucer par une de mes amies. Ça ne t’a pas gêné, à l’époque. Les leçons de morale sonnent faux dans ta bouche, tu le sais bien.
-Il ne s’agit pas de morale. Il s’agit d’amour. Je ne crois pas que tu m’aimes quand tu vas baiser avec n’importe qui. Et moi je veux une femme qui n’aime que moi et ne se donne pas au premier venu, comme une vulgaire pute. »
Claire attendait ce signal : dès que le mot « pute » est lâché, elle sourit. Elle ne baisse plus les yeux.
« Tu me dois vachement d’argent, alors, si je ne suis une pute. Et n’oublie pas que la sodomie, c’est deux fois plus cher. »
Il ne sait pas comment réagir. Il sait qu’il a tort. Il sait qu’il essaie de jouer les grands hommes, mais qu’il n’a pas de réponse à lui donner. Il sait qu’il l’a prise comme elle était, qu’elle n’a jamais menti, que c’est lui qui est blessé dans sa virilité. Qu’il ne supporte pas de la voir ne pas lui appartenir. Une femme n’est pas un objet. Sa femme n’est pas son objet. Claire va le quitter.
« Je n’aurais pas dû dire ça. Mais tu as très bien saisi l’idée.
-Je ne serai jamais fidèle. Je ne serai jamais celle que tu recherches. Tu ferais mieux de t’en aller. »
Il la regarde. Il sait qu’au-delà de ses grands discours, il y avait une chose qui les liait : le désir. Il la désirait, et elle le désirait. Au bord du précipice, il sait qu’il a encore envie d’elle. Peut-être même que l’idée d’autres hommes glissant sur elle l’excite encore plus.
Gauchement, il s’approche. Il veut jouer le jeu des gestes maladroits, hasardeux, qui n’ont pas l’air d’avoir été voulus ni réfléchis. Claire l’a tout de suite compris. Elle le repousse et se déshabille.
« Je t’assure que cette fois, t’en auras pour ton argent. »