jeudi 1 novembre 2007

Vas-y demande à la poussière

Il faisait très chaud, tout à coup. J’avais passé la soirée entière à me geler, à me réchauffer grâce à ma veste en laine, à fumer pour que mes doigts ne soient plus glacés, et puis en une minute ma température avait fait un bond. Je me suis retrouvée presque en sueur, à enlever péniblement les différentes couches de vêtement que j’avais amassées. Je jetais les fringues par terre, sans même faire attention – je ne pouvais pas faire attention, de toute manière, vu mon état d’alcoolémie avancé.
Une fois en tee-shirt, je suis sortie de l’appartement, me réfugiant sur le balcon pour retrouver un peu de fraîcheur. Ma tête tournait, et je savais qu’il ne faisait pas chaud, que c’était juste moi qui étais en train de me trouver mal, parce que j’avais encore trop bu.
Audrey m’a rejointe sur le balcon ; elle m’avait sans doute vue sortir en titubant, tant bien que mal. Elle a passé son bras autour de ma taille.
« Ca va aller ?
- Je crois. »
Elle s’est recroquevillée contre moi (elle avait froid), et m’a caressé le visage. « Ce que tu es jolie quand tu es ivre. Tu as l’air de n’avoir plus peur de rien. » Et c’était vrai. J’adorais ses grands yeux noirs, encore plus quand je n’avais plus aucune inhibition et pouvais tout me permettre. Je lui ai dit que je voulais faire l’amour avec elle ce soir-là. Elle n’a pas paru étonnée. Elle m’a simplement dit « on verra » et m’a serrée encore un peu plus fort.
J’ai allumé une cigarette à la pêche, toute blanche, toute fine. Après avoir pris quelques bouffées, Audrey m’a demandé par le regard si elle pouvait « tirer une taffe ». Je lui ai passé la cigarette. Elle a commencé à fumer et s’est détachée de moi.
« Je ne sais pas bien où ça va nous mener, tu sais. Je t’apprécie beaucoup et j’adore ton corps, j’adore ton odeur. J’adore dormir contre toi, te serrer contre moi. On est bien toutes les deux. Mais j’suis pas homo, tu sais. Je suis jamais tombée amoureuse d’une fille et même toi, je ne sais pas si je peux t’aimer. »
Je savais qu’elle allait me dire ça. M’annoncer ça. Mes vertiges commençaient à se calmer, je me suis même mise à frissonner. Je suis allée récupérer ma veste, et je suis retournée sur le balcon. Ce n’était pas le meilleur endroit, le meilleur moment. Mais il fallait qu’on parle, elle et moi.
« Je ne te demande pas de m’aimer. Tu sais bien ce que j’en pense, de tout ça. Je ne veux pas être en couple. Mais tu me plais Audrey, et je sais que je te plais. Tu n’arrêtes pas de te coller à moi, parce que tu aimes les contacts physiques qu’on peut avoir. Je ne te parle pas d’amour, je te parle de s’amuser, de prendre du plaisir ensemble.
- Mais je ne sais pas mélanger l’amitié et le cul, moi. Et qu’est-ce qui me dit que j’aimerais ça ? Que j’aimerais baiser avec une fille ? Tu es jolie et tout, y’a pas de problème là-dessus, mais j’aime les mecs. J’aime baiser avec des mecs. Toi… tu es une très bonne amie, tu es même plus. Mais sexuellement, non. Je veux pas. »
Elle n’aurait pas pu être plus claire. Je l’ai regardée une dernière fois, avec ce désir qui m’étreignait à chaque fois qu’elle était près de moi. Il allait falloir m’y résoudre, et je le savais bien. Je le savais, qu’elle allait me dire non. Que ça allait être… que ça n’allait rien être du tout.
Je suis restée là, sur le balcon. J’ai allumé un joint dans l’épaisse nuit noire, sans étoile. Seule la lumière du pétard me rappelait où j’étais.
Quand je suis retournée à l’intérieur, elle était assise sur les genoux d’un garçon que je connaissais à peine. J’ai eu envie de courir vers elle, de lui ôter le cœur, de la frapper jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus jamais se donner à personne. Mais je suis restée là, bêtement, à l’observer. A la voir rire, parler, minauder. Le draguer, honteusement, sans s’en cacher. Je savais qu’elle allait coucher avec lui ce soir, qu’il allait repartir le lendemain sans prendre son numéro de téléphone. Que dans quelques jours, elle aurait tout oublié et m’appellerait pour tout me raconter, à moi la bonne copine qui peut tout entendre. Et que j’aurais, plus que jamais, envie de lui hurler dessus, de lui dire qu’elle n’était qu’une connasse.
Je sais qu’un jour ou l’autre, sans raison, j’arrêterai de la voir. J’inventerai n’importe quoi, une dispute sans intérêt, pour justifier mon détachement. Et alors je pourrais enfin essayer de l’oublier, d’oublier ses baisers doux comme une vodka fraise, d’oublier son odeur qui faisait battre mon cœur, d’oublier ses dents de travers que je crevais d’envie de lécher. Essayer de reconstruire ma vie, sans elle. Même si, été comme hiver, elle va me manquer…
Mais qu’est-ce que ça peut foutre ?

mercredi 24 octobre 2007

Is this desire ?

J’ai regardé la silhouette s’éloigner. Vacillante et fuyante, elle avait à peine ramassé ses affaires qu’elle sortait de chez moi, se rhabillait dans l’escalier et courait jusqu’au métro. Je ne l’ai pas vue descendre, mais je le savais, parce qu’elle avait toujours agi comme ça. Il ne me restait plus qu’à me poster à la fenêtre, la voir courir sur des chaussures aux talons trop hauts pour elle, manquer de s’effondrer dix fois dans les dix mètres qui la séparaient de la bouche qui allait l’engloutir pour l’éloigner encore plus de moi.
Je n’étais pas triste. J’y étais habitué. Elle semblait toujours coupable le matin, lorsqu’elle me voyait me tourner dans le lit, encore nu après nos trop nombreux ébats de la nuit. Elle croyait qu’elle ne faisait pas de bruit, que je ne savais pas qu’elle allait s’éclipser. Au fond, elle savait bien que je l’entendais, car ça n’était pas la première fois, ni la dernière.
A chaque fois j’ai réprimé un soupir. Pourquoi refuser d’aller prendre sa douche avec moi, de déjeuner avec moi ? Pourquoi m’effacer dès le jour levé ? J’avais la bizarre impression qu’elle allait se transformer en citrouille si elle restait avec moi le matin, et pourtant ce que nous faisions n’avait rien d’un conte de fées.
J’avais d’ailleurs beau me répéter que tout cela n’était qu’une histoire de fesses, mais en fait cela devenait beaucoup plus. Et pour elle aussi. Car comment expliquer sa hâte, si ce n’était l’envie d’empêcher tout contact entre elle et moi qui soit autre que sexuel ? On prenait du bon temps au lit, c’était évident. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi libéré, d’aussi prêt à tenter toutes les expériences possibles. C’est pour ça qu’elle me plaisait : elle n’avait peur de rien. Elle n’était pas de celles qui refusent certaines choses par principe ou parce que ça lui semble dégradant : rien n’est dégradant, disait-elle, si je suis consentante.
J’ai essayé de la saisir, de parler avec elle. Je ne voulais pas qu’on baise tout de suite hier soir, je voulais savoir certaines choses sur elle, sur sa vie. Ce qu’elle faisait, ce en quoi elle croyait. Elle m’a regardé de travers. « N’essaie pas de me faire croire qu’il y a autre chose que mon cul qui t’intéresse. » Toujours ce mépris. Comme si, après tout, elle-même ne considérait pas qu’autre chose en elle fût intéressant.
Je suis lâche et j’ai laissé tomber, je l’ai baisée jusqu’à en avoir mal. La seule manière de lui témoigner ce que je ressens pour elle. Et la voir partir au petit matin, ça me fais toujours autant chier, car j’aimerais lui faire du café, la rejoindre sous la douche, voir sa manière de se maquiller devant ma glace.
Elle me dirait que je suis con, si elle me lisait. Car entre nous ça n’a jamais été que du cul. Je ne sais même pas son nom de famille. Tout cela est accessoire, c’est ce qu’elle dit. Et après tout, peut-être est-ce une connasse sortie du lit.
Peut-être aussi que je confonds le désir et l’affection. Car parfois je la désire tellement, que j’en crèverais.

dimanche 21 octobre 2007

Rendez-vous près du tout à l'égoût

Notre rencontre était fortuite. Comme un bon vieux cliché mis en scène des milliers de fois. Un clash comme ça en pleine rue, moi qui marche trop vite, lui qui ne fait pas attention. J'ai bien évidemment râlé en ramassant mes affaires (qu'il ne m'a pas aidée à ramasser, alors qu'ayant vu faire ça des dizaines de fois dans les films j'aurais cru qu'il le ferait). Quand je me suis relevée pour repartir, il n'avait pas bougé. Les yeux rivés sur moi. J'ai essayer de l'ignorer et de repartir sans faire attention à lui mais il m'a retenue par le bras - et mon classeur s'est encore cassé la gueule, les feuilles éparpillées sur le pavé mouillé. "Merde !"
Il n'a rien dit du tout, je me suis demandé s'il n'était pas idiot. Mais la force de son regard avait quelque chose de troublant. Il m'a empêchée de me pencher à nouveau. "Mais qu'est-ce que tu fais ?" Il m'a simplement répondu qu'il voulait m'emmener prendre un verre chez lui. J'ai haussé les épaules. Après tout, pourquoi pas. Je n'avais jamais été bien farouche.
Il a alors ramassé mon classeur, qu'il a gardé avec lui sur le chemin. Il ne disait rien de plus, m'observait en coin. Je commençais à être gênée, comme je le suis toujours avec les personnes qui ne semblent pas à l'aise elles non plus. Il a sorti des clefs devant un immeuble minable, délabré, jauni par les années. Evidemment, pas d'ascenceur, et nous avons monté en silence les quatre étages qui nous menaient à son appartement. Les escaliers ne sentaient pas l'urine, j'aurais pu tomber plus mal.
Arrivés chez lui, j'ai découvert un espace étonnamment lumineux et vide. Un canapé dans le salon, un lit dans la chambre, une table dans la cuisine. Rien d'autre. Quelques broutilles traînaient dans un frigo placide qui ronronnait comme un vieux chat. Il en a sorti une bouteille de cidre. Je l'ai regardé comme si je ne comprenais pas. "Tu m'invites pour boire du cidre chez toi ?" "Mais tu sais bien que ce n'est pas boire qui m'intéresse."
Quelle perversité dans la voix. J'ai bien cru que j'allais me mettre à poil tout de suite tant sa personnalité trouble m'excitait. J'ai siroté mon verre pendant qu'enfin, il se mettait à parler. A parler des nombreuses filles qu'il avait ramenées chez lui, de son addiction au sexe. Plus il parlait, moins j'avais envie de lui. Je l'écoutais, un peu moqueuse face à ce discours de cynique baiseur qui avoue son vice face à sa prochaine victime. Il ne comprenait peut-être pas que j'étais meilleure que lui dans ce domaine.
Il s'est alors levé et m'a tirée par la manche vers son lit, dans la chambre. J'ai docilement enlevé mes vêtements un à un, pendant qu'il en faisait autant. Ca aurait pu sembler glauque pour un spectateur qui aurait assisté à la scène, de nous voir tous les deux le dos tourné, de notre côté du lit, nous préparant pour une partie de jambes en l'air, mais nous étions bien conscients de tout ça. Il m'a vaguement embrassée une fois que j'étais nue, assez mal et violemment, comme s'il était pressé d'en finir. Je commençais à me douter que cette baise ne serait vraiment pas bonne.
Je l'ai rapidement sucé, le plus mal possible ; il m'a rendu la pareille sans y mettre beaucoup de coeur lui non plus. Et puis il m'a mise sur le ventre pour me prendre en levrette, sans que cela me fasse le moindre effet. L'excitation était toute retombée, sans doute simulait-il trop sa sexualité débridée pour que cela m'atteigne.
Je n'ai même pas joui ; il a éjaculé péniblement entre mes cuisses. Je suis allée m'essuyer, j'ai remis mes fringues, et j'ai fait ce que j'avais toujours rêvé de faire : j'ai sorti mon portefeuille et lui ai balancé un billet de 50 euros. Il m'a regardée, médusé : "C'est quoi ce pognon ?" - mais son regard signifiait qu'il comprenait très bien à quoi je jouais. J'ai souri et lui ai répondu : "J'ai toujours voulu qu'un mec sache ce que ça fait que d'être humilié comme ça."
Je suis sortie, le coeur léger. J'avais vraiment envie de baiser.